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La blockchain peut-elle favoriser l’économie circulaire ?

Créé en 2008 par une personne anonyme (ou une équipe) sous le nom de Satoshi Nakamoto, la blockchain propose au départ un système décentralisé d’échange de monnaie via une nouvelle devise, le bitcoin (une crypto monnaie). C’est une technologie qui attire de plus en plus d’utilisateurs; nous assistons à une explosion de la valeur du bitcoin en fin 2017 où un « token » (équivalent à une unité de monnaie) a valu plus de 16 000€. Depuis, la valeur des différentes crypto monnaies (les devises utilisant la blockchain) s’est effondrée, un « token » de bitcoin vaut 2 840€ en décembre 2018.

Évolution du cours du bitcoin

Cependant la blockchain et les smart contracts – des protocoles informatiques qui automatisent la négociation ou l’exécution d’un contrat – n’ont pas comme seul intérêt l’échange de monnaie. Effectivement, cette technologie blockchain peut être un moyen de supprimer des intermédiaires inutiles, optimiser l’utilisation des ressources ou encore automatiser des transactions. Pour certains, elle pourrait faciliter et soutenir la transition vers une économie circulaire.

Quels liens existent-ils entre blockchain et économie circulaire ? En quelle mesure la blockchain peut-elle avoir un rôle à jouer pour activer l’économie circulaire ? Quelles sont ses limites ?

Pour commencer, partons d’une compréhension commune du principe d’économie circulaire (vous pouvez lire plus d’informations ici), de la blockchain et de ce qu’on appelle les « smart contracts ».

Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

L’économie circulaire s’oppose à l’économie dite linéaire. Elle vise à optimiser et multiplier la valeur des ressources en limitant le gaspillage et en allongeant leur durée de vie et d’usage. Ce système de partage et de gestion des ressources, permet ainsi de limiter l’impact environnemental mais surtout d’augmenter l’efficacité des produits, composants et matériaux à tous les stades de production. Dans une économie circulaire, les produits durent plus longtemps et son plus faciles à réparer, les composants plus faciles à collecter ou à être réutilisés et les matières d’avantage recyclées. La notion de déchet n’existe plus et la durée d’usage est allongée.

Qu’est-ce que sont la blockchain et les smart contracts ?

Qu’est-ce que la blockchain ?

La blockchain est un grand livre de comptes public qui peut stocker des enregistrements de transaction ou toute autre donnée. Il n’appartient à personne et une copie est stockée sur de nombreux ordinateurs personnels dans le monde entier. N’importe qui peut l’utiliser et aider à faire fonctionner le réseau, ce qui élimine le besoin d’intermédiaires et permet aux utilisateurs d’interagir entre eux, de pair à pair (P2P). La technologie blockchain peut également permettre de réduire les coûts de transaction et accroître l’efficacité du service traité (transaction d’argents, signature d’un contract, vente de biens…) en l’automatisant. En étant intrinsèquement public et possédé par tous, ce type de réseau est pratiquement impossible à démanteler ou falsifier.

Une fois qu’un enregistrement de données est effectué (un échange d’argent par exemple), il ne peut plus être modifié et reste dans le livre de comptes pour toujours. Un nouvel enregistrement de données ne peut être ajouté qu’après avoir été validé par plusieurs ordinateurs. Cela rend les données fiables sans avoir recours à un tiers. Le grand livre est sécurisé par une cryptographie avancée qui a pour objectif d’anonymiser les données personnelles des utilisateurs (coordonnées, informations personnelles, type d’appareil utilisé…) ce qui le rend difficile à manipuler.

Nous illustrerons cette définition par l’exemple d’un envoi d’argent d’un utilisateur A à un utilisateur B.

Qu’est-ce-qu’un smart contract ?

Les smart contracts sont des contrats numériques basés sur la technologie blockchain qui permettent de contrôler les engagements de chaque partie au sein d’un contrat. Alors qu’un contrat légal traditionnel définit les règles d’un accord entre plusieurs parties, un smart contract va plus loin car il fige ces règles et applique ces dernières lorsque les conditions contractuelles se vérifient.

Prenons pour exemple l’achat d’une maison.

Sur cette base de définitions, quels liens existent-ils entre ce grand livre de compte public, ces contrats automatisés et l’économie circulaire ?

Quel intérêt a la blockchain pour l’économie circulaire ?
  • Optimisation des ressources

Dans un premier temps, cette technologie peut permettre d’optimiser les ressources en automatisant et facilitant les transactions et donc les flux, mais aussi en intégrant de nouveaux acteurs.

Si nous prenons l’exemple du marché de l’électricité, un secteur complexe avec de nombreux acteurs (producteurs, distributeurs, consommateurs…), nous pouvons considérer que c’est un terrain fertile pour la blockchain. En effet, elle offre la possibilité d’éliminer les intermédiaires en rendant le système moins coûteux et plus efficace. En combinaison avec les compteurs intelligents, le système blockchain peut être utilisé pour transmettre les transactions de paiement, enregistrer ces transactions à l’abri des manipulations et contrôler le flux et le stockage de l’électricité, gérant ainsi le paiement via des smart contracts déployés au sein de la blockchain. En outre, les échanges de « pair à pair » – technologie permettant l’échange direct de données entre ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur central – deviennent possibles. Les producteurs d’énergie locaux, comme les ménages qui produisent aussi de l’électricité, peuvent donc vendre leur énergie directement à leurs voisins sans intermédiaire. Ainsi, le flux d’électricité peut être dirigé plus efficacement vers les consommateurs sur de courtes distances, ce qui réduit les pertes de transport d’énergie et le besoin de stockage.

Il existe déjà des exemples de solutions intéressantes dédiées au marché de l’énergie. SunContract par exemple est une plate-forme d’échange d’énergie peer-to-peer basée sur la blockchain pour l’énergie solaire et d’autres énergies renouvelables. 

Une plateforme basée sur la blockchain pourrait donc permettre aux institutions, aux entreprises et aux particuliers d’obtenir une meilleure productivité en investissant directement dans des installations de production d’énergies renouvelables.

Cela pourrait également augmenter les échanges énergétiques et réduire le gaspillage dans l’objectif de faciliter la transition vers un système de consommation durables de l’électricité, comme le propose la « transition énergétique » allemande qui vise à couvrir 60% de la consommation d’énergie nationale par les énergies renouvelables d’ici 2050. 

  • Modification des usages

L’objectif aussi de la technologie blockchain est de créer de nouvelles opportunités. Les entreprises peuvent notamment l’utiliser pour modifier les usages actuels dans l’objectif d’avoir des habitudes plus durable. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus apparaître des produits en tant que service, on paye un abonnement à l’année en fonction de notre consommation (vélib, autolib…)

Les entreprises peuvent donc proposer des produits en tant que service en utilisant des capteurs pour comprendre leur utilisation. Les utilisateurs paient un abonnement basée sur leurs consommation tandis que les entreprises conservent la propriété du produit. Il s’agit d’un partenariat mutuellement bénéfique : les entreprises reçoivent une source de revenus continue et sont incitées à concevoir leurs produits pour une durée plus longue, tandis que les consommateurs payent uniquement ce dont ils ont besoin. L’utilisation des produits est donc optimisée ce qui permet de réduire le gaspillage et l’impact environnemental, surtout quand l’on sait qu’en moyenne, en France, une voiture est utilisée 7h12 par semaine ce qui correspond à 5% du temps.

Outre le marché de l’électricité, l’économie du partage peut également devenir un grand bénéficiaire de la technologie blockchain. Par exemple, des entreprises comme Uber ou Airbnb peuvent devenir inutiles, car le système blockchain permet à deux entrepreneurs ou intermédiaires (P-2-P) d’interagir directement. Dans le cas du covoiturage décentralisé, l’avantage est que les conducteurs ont la possibilité de travailler indépendamment d’une institution centrale comme Uber, tandis que les usagers bénéficient de prix réduits. Les premières start-ups décentralisées de covoiturage, comme ArcadeCity ou Lazooz, travaillent sur le développement d’applications.

  • Tracabilité = transparence

De plus en plus de gens veulent acheter des produits fabriqués de façon éthique mais ces informations sont souvent difficiles à vérifier. Un produit passe entre de nombreuses mains avant d’arriver au magasin. Il est très facile pour les entreprises de mentir sur la façon dont leurs produits sont fabriqués, sur les matériaux et les produits chimiques qu’elles utilisent, sur l’endroit où elles jettent leurs déchets ou sur la façon dont elles traitent leurs employés.

La blockchain peut être utilisé pour suivre les produits du fabricant à l’étagère et aider à prévenir le gaspillage, l’inefficacité, la fraude et les pratiques non éthiques en rendant les chaînes d’approvisionnement plus transparentes. Ils peuvent également aider les consommateurs à être mieux informés de la façon dont chaque produit a été fabriqué et expédié afin qu’ils puissent faire des choix plus écologiques.

Si nous suivions les aliments, par exemple, cela permettrait aux acheteurs d’acheter des produits locaux en sachant qu’ils sont réellement cultivés localement. Cela permettrait également de réduire les émissions de carbone dues au fait que les aliments n’aient pas à parcourir de longues distances. Les chaînes de blocage peuvent assurer qu’un poisson vendu dans un marché aux poissons provient bien d’un pêcheur  artisanal, ou vérifier qu’un sac de café a bien été acheté à un prix équitable pour le producteur..

Par exemple la startup Provenance a l’intention de concevoir un système capable de suivre en temps réel tous les matériaux utilisés, y compris les aspects de qualitatif et quantitatif, tout au long de la chaîne logistique. Ils cherchent à obtenir un passeport numérique pour tout produit, qui permette aux consommateurs et aux producteurs de suivre l’ensemble du processus de production. Ainsi, il devient possible d’obtenir des certifications numériques, telles que des quotas d’émission ou des preuves d’origine. Garantir la validité des certificats et donner aux consommateurs les moyens de choisir leurs achats.

Quels peuvent-être les freins à un tel système ?
  • Partage des données

La blockchain peut faciliter la mise en place de principes de circularité mais il y a certains freins et impacts négatifs vis à vis des écosystèmes humains et naturels à considérer.

Le premier frein est lié aux besoins de l’outil lui-même : les données. Comme indiqué juste avant, la traçabilité permet de nombreuses possibilités mais créé aussi de nombreuses réticences. En effet, les services automatisés reposent sur la collecte de données, un sujet sensible pour les entreprises qui les voient à la fois comme une opportunité pour améliorer l’expérience utilisateur ou mieux cibler les utilisateurs par exemple. Les spécialiste peuvent aussi les considérer comme un risque d’un point de vue de la gestion de leurs données et de leur partage. Les données collectées dans la blockchain peuvent être sensibles de par leur nature, par les règles de protection ou même de concurrence en fonction des secteurs d’activités. Cela pousse généralement les entreprises à fermer les portes de leurs base de données.

D’un point de vue des utilisateurs, en Europe notamment, certains sont assez réticents à partager leurs données par peur qu’elles soient utilisés à des fins commerciales ou malveillantes. Il y a donc un enjeux de transparence et de communication quant à l’utilisation et le partage des données sur les différents services de la blockchain.

En sachant que la blockchain est un registre de compte immuable, public certes mais contenant des informations cryptées notamment lorsqu’il s’agit de l’identité des utilisateurs, il y a un fort enjeu de cybersécurité.

Enfin, toujours d’un point de vue du partage et de la collecte des données, le dernier enjeu concerne le phénomène de big data qui consiste à ne plus pouvoir interpréter la masse d’informations tant elle est considérable. Il est donc primordial d’avoir une stratégie de gestion bien définie afin d’éviter la confusion.

  • Fort impact environnemental des technologies

Si nous considérons le système dans sa globalité, il existe également un fort enjeu environnemental.
Comme expliqué précédemment, la blockchain s’appuie sur le cryptage pour assurer sa sécurité et établir un consensus sur un réseau public. Cela signifie essentiellement que pour « prouver » qu’un utilisateur a l’autorisation d’écrire dans la chaîne, des algorithmes complexes doivent être exécutés, ce qui nécessite à son tour de grandes quantités de puissance de calcul. Bien sûr, cela a un coût financier et écologique. Si l’on prend l’exemple de la blockchain la plus connue et la plus utilisée – Bitcoin – en 2017, il a été étudié que la puissance de calcul nécessaire au fonctionnement du réseau consomme autant d’énergie que 159 pays dans le monde. De la même manière, une transaction sur la même blockchain peut consommer jusqu’à 215 KWh sachant que le ménage américain moyen consomme 900 KWh par mois, une transaction constitue donc l’énergie d’un foyer américain pendant une semaine (!).

La blockchain du bitcoin est un réseau avec une capacité de marché de 170 milliards de dollars, en Février 2018. Une capacité de sécurité sophistiquée sur le plan informatique est donc essentielle. Des blockchains à plus petite échelle – comme celles qu’une organisation peut déployer à l’interne pour surveiller et enregistrer en toute sécurité les activités commerciales – consommeraient une fraction de cette quantité. Néanmoins, ça reste un aspect important et les implications environnementales ainsi que les coûts énergétiques ne peuvent être ignorés.

Conscient de ces enjeux, l’objectif pour les acteurs est donc de développer des solutions moins énergivores et d’encourager l’éco-conception pour réduire au maximum l’impact environnementale de la blockchain. Le créateur de la crypto-monnaie Ethereum a d’ailleurs fait une proposition d’alternative au minage –  le procédé par lequel les transactions bitcoin sont sécurisées qui n’impliquerait plus la participation de milliers de machines, ce qui réduirait considérablement la consommation d’énergie et les rejets. À ce jour, les expérimentations n’en sont qu’au stade des recherches.

Une nouvelle illustration du décalage actuel ?

D’un côté, l’économie circulaire donne le cadre pour proposer des alternatives aux systèmes économiques classiques. De l’autre, la blockchain offre des solutions pour faciliter certains principes clefs de circularité tel que l’optimisation des ressources ou leur mutualisation. Néanmoins, bien qu’elle puisse servir en théorie une économie plus circulaire, son fonctionnement et sa forte dépendance aux ressources énergétiques et technologiques semble aller à l’encontre des principes de sobriété nécessaires pour les écosystèmes naturels.

Dans le même temps, la blockchain facilite le passage à une économie circulaire, et une économie circulaire permettrait à la blockchain d’être plus vertueuse.

Il semble donc intéressant d’associer les deux sujets, déjà prisés de certaines organisations, pour faire évoluer les business models et la gestion des ressources – matérielles ou immatérielles.