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Comment une économie circulaire pourrait sauver les abeilles ?

Les abeilles et la biodiversité comment ça marche ? L’ensemble des 20 000 espèces d’abeilles dans le monde sont très importantes pour la pollinisation, processus indispensable à la reproduction sexuée des plantes à fleurs. Le pollen et nectar des fleurs sont les fondamentaux de l’alimentation des abeilles, et inversement les abeilles constituent le pilier de leur reproduction. Pour nourrir la Reine et la ruche, l’abeille (butineuse) butine les fleurs et végétaux alentours, se faisant elle va permettre au pollen de se déplacer d’une fleur à l’autre et une fois son tour fini elle va rapporter à la ruche le nectar qu’elle a stocké. Ainsi l’abeille maintient l’équilibre de la biodiversité autour de la ruche et produit du miel.

 

 

En France, près de 30 % des colonies d’abeilles disparaissent chaque année

La disparition des abeilles est un sujet dont nous entendons parler depuis de nombreuses années. Dans cette tribune nous abordons les causes de ce fléau mais également les solutions pour agir sous le prisme de l’économie circulaire, avec en illustration l’exemple de la filière cosmétique. Car en effet, les principes de gestion des ressources, de résilience et de symbioses proposés par l’économie circulaire présentent de nombreuses pistes d’actions pour mieux intégrer et valoriser la diversité des écosystèmes naturels et de ceux qui en assurent le renouvellement : les insectes pollinisateurs.

Abeilles, pollinisation, économie… de quoi parle-t-on ?

En France, près de 30% des colonies d’abeilles disparaissent chaque année, ce taux était de 5% en 1990. En Allemagne, selon une étude publiée en 2017, ce sont 75 % de la population qui auraient disparu sur les 30 dernières années.

Que l’on ressente les impacts de cette extinction sur nos paysages, notre confort de vie ainsi que celui des populations qui nous entourent est une chose, mais le fait que nous ne mettions que peu d’actions en place pour inverser la courbe alors même que nous dépendons de ces ressources, en est une autre. Car oui, tout le paradoxe de cette situation résulte dans le fait que notre économie et nos industries – c’est à dire la manière dont nous consommons, produisons, interagissons et nous développons – sont tributaires de cette biodiversité, végétale comme animale, et qu’elles en sont également la principale cause d’extinction.

(Sur)vie des abeilles et (sur)vie du business, un lien plus étroit qu’il n’y parait.

Pour ne parler que des espèces végétales, donc en quelques mots ce qui compose notre alimentation, nos produits cosmétiques et certains de nos matériaux, leur reproduction est permise à 80% par les abeilles et quelques autres insectes pollinisateurs. Ce pourcentage illustre largement la dépendance « naturelle » des espèces végétales aux abeilles.

Deux autres chiffres lient l’activité des abeilles (et ses confrères pollinisateurs) directement à notre économie : saviez-vous que sur certains territoires français 40% de la valeur économique de la production agricole est attribuable à l’action des insectes pollinisateurs ? Saviez-vous également qu’à l’échelle mondiale, le service rendu par les insectes pollinisateurs est estimé à 265 milliards de dollars ? Ces milliards de dollars se retrouvent dans notre nourriture, nos tee-shirts, nos cosmétiques, nos promenades au parc, la qualité de notre air, la qualité de notre eau, et j’en passe. Ce « service rendu par les abeilles » dont il est question est ce qu’on appelle un service écosystémique. En quelques mots, il s’agit d’un service que la nature nous rend en améliorant la qualité de notre environnement et par conséquent de nos produits et de notre vie.

 

 

Le problème avec ces chiffres, ou plutôt ces services, est que, bien qu’ils soient réels, ils sont difficilement quantifiables dans un compte de résultat ou un bilan comptable. Car aujourd’hui, lorsqu’il s’agit de valoriser des ressources dans le business ou plus largement dans l’économie il ne s’agit la majorité de temps que de flux financiers entre deux personnes physiques et/ou morales mais que rarement de de flux de services ou la diversité du vivant. Il devient donc difficile pour les acteurs économiques de faire le lien entre business et nature et d’intégrer ce service rendu dans leurs activités. La gratuité de ce service, rend la création de valeur(s) permise par la biodiversité moins tangible qu’un volume de vente. La prise en compte de ces enjeux pour permettre la régénération et la pérennité de ce service écosystémique semble impensable.

Le problème que cela pose est que le manque de démarche systémique dans les activités économiques détériore à petit feu nos ressources naturelles et l’équilibre de la vie.

Que ferons-nous demain si le végétal n’est plus de qualité ou que nous ne parvenons plus à nous approvisionner ?

 

Pourquoi les abeilles disparaissent ?

Que ce soit en France, en Chine ou aux États-Unis, la disparition exponentielle des abeilles pose de plus en plus problème et éveille les consciences, notamment pour des questions sanitaires et environnementales (exemple du maintien de la biodiversité, du réchauffement climatique). Les groupes de pressions, chercheurs et citoyens ciblent en premier lieu la filière agricole – l’amont de la chaîne – en pointant du doigt les modèles économiques peu respectueux de l’environnement et les intrants qui en découlent. En effet, malgré des métiers initialement attachés à la terre et à ce qui lui appartient, la monoculture et les objectifs de rendements excessifs des exploitations ont contraints les agriculteurs à utiliser des intrants garantissant la productivité en exterminant les « nuisibles ». En réponse à ces impacts négatifs, la France s’est, par exemple, attaquée aux causes en interdisant les néonicotinoïdes et souhaite appuyer le cycle vertueux des abeilles en introduisant des ruches en ville ou en produisant du miel localement. C’est une bonne chose, néanmoins, au delà du fait que la filière agricole ne soit pas la seule concernée, ces actions restent embryonnaires et ne questionnent à aucun moment ce lien étroit qui existe entre business et nature. Si nous voulons inverser la courbe, commençons par en revenir aux causes et à changer le système et donc ce lien qui existe entre nos activités économiques et le monde du vivant. Cela nous permettra de remonter la chaîne, de re-concevoir la manière dont nous faisons du business et consommons nos ressources, pour tendre vers des modèles plus résilients.

 

L’impact de l’économie linéaire sur la (sur)vie des abeilles ? L’exemple de la filière cosmétique.

À ce jour, bien que l’on considère que la cosmétologie-parfumerie soit uniquement le troisième consommateur de produits végétaux, derrière l’agro-alimentaire et les produits d’entretien, les acteurs de la filière restent tributaires des ressources végétales et de la biodiversité : il s’en servent en tant que matière première dans, entre autres, la composition des actifs, mais également en tant que source d’inspiration.

 

L’un des leaders de la filière mettait en avant il y a déjà 5 ans que «  55% des nouvelles matières premières enregistrées sont issues du végétal ». « La matière végétale est une ressource intéressante et pertinente dans notre métier », indique Claude Fromageot de chez Yves Rocher. Laurent Gilbert, directeur R&I des Sciences de la matière de L’Oréal indique lui qu’« en volume, 40 % des matières premières employées sont d’origine végétale » et souligne que l’importance de la performance du produit cosmétique provient d’« un savant équilibre » entre les ingrédients mais également leur provenance et leurs usages.

Bien que les abeilles participent à près de 80% de la pollinisation de ces espèces végétales, plantes, fruits et légumes utiles à la formulation des produits cosmétiques, très peu – pour ne pas dire aucun – industriel ne les intègre dans la chaîne de valeur autrement que pour les exploiter. Ils sont encore moins nombreux à intégrer les impacts de la manière dont ces ressources sont gérées, transformées, conditionnées et consommées sur le reste de la chaîne.

Au delà d’un mode de culture qui n’est ni raisonné ni raisonnable d’un point de vue humain ou environnemental, c’est sur la mauvaise conception des produits  issus de ces matières premières que je souhaite insister et particulièrement sur le gâchis de ressources et de matières. Par conception j’entends toutes les étapes qui vont permettre au produit d’être utilisé et donc sa production, sa distribution, son utilisation mais également sa fin de vie.

En effet, bien qu’en amont de la chaîne nous basions une performance sur des ressources naturelles abondantes, peu chères et de bonne qualité, nous oublions trop souvent d’intégrer les impacts sur l’environnement à chacune des étapes. Nous oublions trop souvent de considérer les déchets qui sont générés et ainsi le gâchis de matières. C’est un manque à gagner énorme d’un point de vue économique mais c’est surtout un non sens quand nous anticipons les dommages collatéraux de ce gâchis et de ces déchets sur les écosystèmes naturels et les communs – l’eau, la terre, le feu, l’air.

Pour illustrer cette idée de mauvaise conception des produits distribués sur la filière, voici quelques exemples d’impacts à différentes étapes du cycle de vie :

  • Concernant la solution/le contenu/ce qu’il y a dans votre tube ou votre pot : très peu de produits cosmétiques sont aujourd’hui biodégradables ou 100% naturel. Cela suppose donc que les composants chimiques se retrouvent dans les réseaux d’eau au moment de l’utilisation et les microbilles de plastique dans les océans (nb : un produit cosmétique peut-être composé jusqu’à 90% d’eau, alors même que par son usage il entraine la pollution des réseaux). Considérant que l’eau est une ressource vitale au maintien des sols, à la croissance des espèces végétales et animales, et également utilisée en culture, il s’agit bien d’un impact négatif qui touche directement la chaîne.
  • Concernant le contenu, toujours, il existe de nombreux produits qui se retrouvent à la poubelle (sans parler des emballages) pour des raisons sanitaires, de tendances ou de contexte. Ces contenus viennent surcharger nos poubelles (lorsqu’ils sont jetés dans des poubelles) et nombreux d’entre eux sont incinérés ou enfouis, alors même que beaucoup sont composés d’eau. Pour vous donner une idée, ce sont plus de 3,5 tonnes de savons solides qui se retrouvent dans les poubelles des hôtels nord-américains chaque année. Ici, l’incinération ou l’enfouissement ont un impact direct sur la pollution de nos sols et le réchauffement de notre air.
  • Concernant le contenant, maintenant. Pour conserver votre crème ou votre parfum, le transporter, l’utiliser ou juste communiquer, l’industrie produit et utilise des packagings et emballages, pour la majorité en plastique. Sans parler de la conception même du plastique, il est important de garder en tête que ces quelques milliards d’emballages et packagings finissent en quelques heures à la poubelle, nos poubelles finissant elles-mêmes dans nos sous-sols (enfouissement) ou dans l’air (incinération). Autrement, ces emballages finissent directement dans nos océans. Pour vous donner une idée, l’un des géants de la fabrication de packaging pour la cosmétique produit à lui seul 1 milliard d’emballages par an, destinés pour 90% au marché français. L’usage unique étant privilégié dans les modèles actuels, il est facile d’imaginer où terminent ces emballages.
  • Concernant les transports et la distribution maintenant, les produits cosmétiques voyagent à travers le monde avec des camions parfois à vide et des suremballages qui augmentent le poids des cargaisons, et ainsi leur consommation en énergies et émissions. Cela augmente donc les émissions de CO2 et donc le dérèglementent climatique, difficilement réversible si nous continuons à couper les forêts de notre planète.

Ces éléments sont autant d’impacts négatifs qui ont pour conséquences écologiques le dérèglement climatique, l’assèchement des sols ou la création de puits de chaleur. D’un point de vue écosystémique en prenant comme référence les abeilles, cela entraine en dommage collatéraux des floraisons irrégulières, la disparition des ressources nectarifères, des inondations et feux de forêts ou la baisse de la biodiversité. Le point de bascule se dessine : bientôt, les abeilles seront incapables de nourrir la Reine, de déplacer le pollen et de faire vivre leur ruche, entrainant le dérèglement des colonies et leur disparition.

En résumé, nos produits et composants polluent les eaux, alors même que l’eau est vitale pour irriguer nos cultures, polluent les sols et les rendent stériles, alors même qu’une grande partie de nos ressources en ont besoin pour pousser, réchauffent notre air alors même que les espèces végétales en ont besoin pour respirer.

C’est un long cercle vicieux qui démarre. La disparition des abeilles et de la biodiversité devient l’un des dommages collatéraux de la mauvaise conception des produits, entre autres cosmétiques, et de leurs business models. Bien que cela puisse sembler tirer par les cheveux, c’est un signal faible pour prendre ses responsabilités et changer de stratégie.

Comment faire pour inverser la courbe de déclin des abeilles en préservant leur habitat naturel et leur cycle de reproduction, et ainsi pérenniser leur activité de pollinisateur ?

 

Pour répondre à cela, les industriels et lobbys ont commencé à réfléchir à des solutions notamment technologiques autour de la chimie verte, du développement des filières de recyclages ou du traitement des eaux usées. Mais ça ne suffit pas. En effet, les acteurs économiques et institutionnels jusqu’ici ne proposent que de faire moins mal en déléguant, en pansant les plaies et en investissant des millions d’euros dans ces « solutions » qui sont loin de résoudre le problème à la source. Il faut inverser la courbe, il faut arrêter de faire mal pour faire mieux. Pourquoi l’Homme contemporain serait-il la seule espèce à ne pas trouver sa place dans l’écosystème et à le détruire ? Ne rêvez-vous pas d’être plus visionnaires, positifs et résilients et proposer des solutions à plus grand échelle ? Comme l’abeille, le corail ou l’arbre, chaque être vivant a le pouvoir et la capacité de faire du bien, et de régénérer, tout en se développant.

Intégrer et appliquer les principes d’une économie circulaire à l’ensemble de la chaîne pour assurer un avenir à notre industrie et aux générations futures.

Une économie plus sobre en ressources, et régénératrice par nature.

Quand l’on sait que l’économie circulaire empreinte ses principes et sa définition aux écosystèmes naturels et que la création de valeur de l’industrie cosmétique, comme les autres cités précédemment, dépend de ces mêmes écosystèmes, cela fait sens, non ?

Pour bref rappel, l’économie circulaire est un concept qui « tend à préserver la valeur et la qualité intrinsèque des produits, des composants et des matériaux à chaque étape de leur utilisation ». Si nous parvenons à intégrer ces principes dès l’amont du produit, c’est à dire dès sa conception, il deviendra possible de créer un maximum de valeur(s) et d’impacts positifs sur l’ensemble de la chaîne.

 

Les solutions existent, voici quelques principes d’éco-conception et de gestion optimale des ressources ainsi que des exemples d’applications :

  • Utiliser des co-produits (toute matière, intentionnelle et inévitable, créée au cours du même processus de fabrication et en même temps que le produit principal).
    C’est ce que propose Yves Rocher qui, à partir de fleurs de Safran une ressources existante et aujourd’hui gâchées dans l’industrie agroalimentaire a développé un actif pour les peaux hypersensibles. Cela permet d’optimiser les matières premières extraites/vierges tout au long du cycle de vie et de réduire l’extraction de nouvelles.
  • S’approvisionner de manière responsable en respectant le cycle naturel des écosystèmes. C’est ce que fait la savonnerie Habeebee qui pour extraire la cire d’abeille, installe des ruches chez des usagers potentiels et collecte la cire tout en maintenant les volumes requis pour la reproduction.
  • Optimiser la valeur du produit avec la haute concentration des produits en actifs pour notamment un usage 3 en1, proposé par les Happycuriennes.
  • Repenser l’expérience utilisateur et l’usage pour réduire la consommation de matières premières pour le contenant ou moins d’eau pour le contenu, comme le propose la marque Lush ou l’entreprise familiale Comme Avant avec leurs dentifrices et shampoings solides.
  • Collecter et valoriser les produits, packagings et emballages en fin de vie pour les valoriser pour servir de nouvelles fonctions ou de nouveaux utilisateurs comme le fait si bien l’entreprise sociale Clean the World.
  • Proposer des produits ou composants qui puissent être valorisés de manière naturelle (comestibles, biodégradables) comme le packaging Lactips, produit à partir d’un sous-produit de l’industrie laitière.
  • Substituer les composants synthétiques ou polluants, par d’autres naturels ou déjà à disposition. C’est ce qui est proposé pour remplacer les microbilles de plastiques qui ont été interdites récemment pour des raisons écologiques par les coquilles d’œuf qui sont un excellent abrasif et peuvent ainsi servir les mêmes fonctions que la microbille de plastique.

L’ensemble de ces solutions permettent de réduire l’extraction et la consommation de ressources naturelles tout au long de la chaîne, tout en allongeant leur durée de vie et en servant de nouveaux usages. Cela participe au maintien et à l’équilibre des ressources à disposition. Elles évitent également le gâchis par la réduction et la valorisation des déchets en tout genre et donc les effets néfastes de leur incinération, décomposition ou enfouissement. Enfin, elles permettent d’améliorer l’expérience utilisateur, de servir de nouveaux usages et de créer d’avantage de valeur(s) pour l’entreprise, l’utilisateur mais également l’ensemble de l’écosystème (et donc les abeilles).

 

En conclusion, il suffit de faire preuve d’un peu de volonté et de créativité pour voir dans la nature bien plus qu’un terrain de jeu pour vendre plus et à moindre frais mais bien un véritable allié. En observant la nature pour mieux nous en inspirer, en intégrant de nouvelles étapes dans le cycle de vie des ressources pour mieux les optimiser et en considérant les impacts négatifs sur l’ensemble du système pour les transformer, nous irons plus loin et plus longtemps.

En tant qu’entreprise qu’est-ce que j’y gagne ? Si ce n’est une conscience environnementale et exigence accrue sur les impacts néfastes de mon activité, je gagne une pérennité et une vision long terme, une réduction de mes coûts d’approvisionnements ainsi qu’une meilleure qualité des mes produits. Cela permet la création d’une valeur bien plus intéressante pour l’utilisateur mais également pour la communauté et l’entreprise. D’autant plus, si en tant qu’acteur de la cosmétique je vends du bien-être, du confort et de la beauté.

Par quoi commencer ? Commencer par déplacer le curseur de la création de valeur. Plutôt que de penser rendement financier à court et moyen terme, il est de plus en plus nécessaire de penser global et collaboratif !

 

La nature est notre avenir, régénérons-la !

 

Merci à Rebecca Narewski de m’avoir fait découvrir de nombreuses initiatives mentionnées dans cette tribune, à travers le réseau Circulab network.

 

Justine LAURENT