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Comment repenser l’expérience utilisateur permet de multiples impacts positifs ?

« Donnez, prenez, recyclez »

 

C’est la devise du SMICVAL Market et cette devise elle correspond également au parcours proposé à l’utilisateur dès qu’il met les pieds dans ce super marché « nouvelle génération ». Si le « recyclez » apparait en dernier, ce n’est pas un hasard, c’est bien volontaire. Au SMICVAL Market ce n’est qu’une fois que les produits, composants ou matériaux n’ont pas trouvé preneurs, qu’ils sont envoyés dans les filières de recyclage ou au pire des cas, à la décharge. En suivant le cycle de vie des ressources, le SMICVAL propose aux habitants une solution pour réduire la mise en décharge de leurs objets, matériaux et autres produits une fois qu’il n’en ont plus usage, mais également leur consommation de produits neufs, avec ce premier projet innovant de « supermarché inversé ». L’objectif ? Supprimer la notion de déchet sur le territoire par la réduction de la mise au rebut, tout en soutenant l’emploi local de manière pérenne et la création de lien social.

Cette semaine pour ce 7ème numéro, je suis partie à la rencontre de Nicolas Senechau, directeur général du SMICVAL, Syndicat Intercommunal de Collecte et de Valorisation des déchets du Libournais Haute-Gironde, à l’initiative du supermarché homonyme : le SMICVAL Market.

 

 

Cela fait 10 ans que Nicolas Senechau est directeur du SMICVAL lorsque la déchetterie de Vayres est détruite et qu’il est prévu d’en construire une nouvelle. C’est à ce moment qu’il se questionne sur l’avenir de la filière et d’une telle infrastructure si l’on veut pérenniser les 200 emplois qui y sont liés. Il faut faire bouger la filière, faire en sorte d’aller au delà de la seule fonction de gestion des déchets demandée aux Syndicats et devenir un acteur de la transformation et du développement territorial.

 

« Le monde va plus vite que les institutions. »

 

Le SMICVAL compte 200 000 habitants sur un territoire de 141 communes, qui s’étend d’ouest en Est de la rive droite de la Gironde avec 4 communes du département de la Dordogne. Pour ne parler que des déchets verts; leur collecte et traitement coûte entre 1,5 millions et 1,7 millions par an à la commune, et donc aux habitants.

Chaque territoire français a son Syndicat de collecte et valorisation qui a pour fonction de répondre au besoin de salubrité. Si nous considérons les 10 000 tonnes de déchets produits tous les 1/4 h en France et les 1% de valorisation annuel, il est facile d’imaginer leur importance et le service public rendu. 
Les compétences clefs du Syndicat sont généralement triples; la prévention, la collecte et le traitement.

Pour assurer un avenir au Syndicat libournais et un futur souhaitable pour les communes et habitants alentours, il apparut nécessaire à Nicolas et ses collaborateurs de repenser l’avenir de la filière et des métiers : il faut repenser l’expérience et les infrastructures dédiées au déchets (id. les déchetteries) pour proposer une solution innovante qui responsabilise l’utilisateur et créé d’avantage de valeur(s).

Le projet du SMICVAL Market commence a faire son nid et fini par voir le jour en avril 2017, après une première ouverture VIP.

Le SMICVAL Market, comment ça marche ?

 

La direction du SMICVAL, se composant entre autres de Nicolas Senechau et Eric Buffo, en coopération avec des designers, sociologues, agents et autres parties prenantes clefs, a emprunté à la grande distribution ses codes pour les valoriser dans un lieu de 5000 m2 à quelques mètres des vignes.

Je m’y suis rendue et c’est fou comme on s’y croirait. Caddies, codes couleurs, étagères, parkings… tout est réuni pour que les visiteurs se repèrent facilement et se familiarise avec le lieu. Le parcours de l’utilisateur sur place est intuitif et suit le cycle vers lequel le Syndicat souhaite emmener la gestion actuelle des déchets.

 

1. A quelques minutes en voiture de Libourne et 30min de Bordeaux, j’arrive dans ce supermarché inversé. Les horaires sont similaires à ce d’une déchetterie que l’on pourrait qualifier d’ordinaire, et de la même manière, je viens y déposer mes encombrants en fin de vie, ainsi que mes déchets verts ou mes déchets ménagers. Dès mon arrivée, le visiteur est accueilli par un agent valoriste qui va le guider dans son parcours et les rayons.

2. Le visiteur peut choisir entre se garer au parking pour faire ses « courses » à pieds, ou se déplacer en voiture sur le site, à travers les différents rayons chacun réparti en 3 pôles, selon l’état du produit mais également son utilisation :
– La maison des objets, pour les jouets,électroménagers ou meubles dont je veux me débarasser.
– Le Préau des matériaux pour donner et prendre des gros volumes : huisseries, carrelage, meubles…
– Les dépôts au sol pour récupérer ou recycler des flux classiques : bois, gravats, végétaux et de nouvelles filières : plâtre, plastiques souples…

3. Chacun est invité à déposer en autonomie ce qu’il souhaite sur les étagères, bennes ou tiroirs, et peut même y accrocher une étiquette pour raconter son histoire. Pour l’aider, il y a des codes couleurs et une signalétique très visible ainsi que des agents qui ont un rôle de conseillers.

 

4. Il est possible de récupérer ce que l’on souhaite; une pièce automobile, un jouet pour enfant, une chaise ou même du compost issu des déchets verts du territoire. Cela permet aux ressources en tout genre (objets, matériaux, composants…) d’avoir une deuxième, une troisième vie, si ce n’est plus, pour le même usage. Et dès quelles sont abimées, ou inutilisables, elles sont collectées, triées et valorisées par des partenaires et structures tel qu’Éco-mobilier.

5. Le parcours se termine avec la zone dédiée aux bennes de tri « classiques » des déchets ménagers (verre, cartons, etc.) destinés aux filières de recyclage et à la mise en décharge, pour les éléments qui n’ont pas trouvé leur place dans les rayons plus tôt.

Comment faire pour développer un tel projet ?

 

Ce projet a été conçu en intégrant les 4 sphères de l’innovation optimale :

    • D’un point de vue circularité tout d’abord, cela a été possible grâce à la vision positive du déchet proposée et promue par le Syndicat et ce, dès l’étape de conception : passer du statut de déchet nuisible et sans valeur à celui de produit ou matériaux pouvant continuer à servir et à créer une valeur (sentimentale, ludique, financière…) pour un autre. Ceci car le cycle de vie de la matière est respecté et que cette déchetterie ajoute une étape en comparaison aux structures classiques; celle de la réutilisation et/ou du réemploi. Effectivement, l’étape de recyclage et/ou de valorisation énergétique intervient en dernier lieu, uniquement si le produit n’a pas trouvé preneur.
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D’un point de vue technique et technologique, il faut savoir que le secteur de la collecte et gestion des déchets investit beaucoup dans les nouvelles technologies. Nicolas, lui, à décidé de miser sur les savoir-faire et compétences des agents valoristes en proposant leur montée en compétences grâce à des formations aux métiers de la distribution. Il faut également varier les profils et les expertises, afin d’assurer la créativité des équipes mais également une offre qui soit la plus holistique possible.
      Ingénieur de formation, Nicolas Senechau travaille depuis plus de 15 ans dans le domaine de la gestion des déchets et il nous le dit lui même : « pour qu’un tel projet marche il faut mixer les profils, les collaborations et faire appelle à des esprits et compétences nouvelles, extérieurs à notre zone de confort et de travail. »

 

    • Pour l’aspect économique, la viabilité du projet a été abordée sur le long terme. L’intérêt parait évident si nous prenons en compte les millions d’euros dépensés chaque années en France par les particuliers, collectivités et entreprises pour gérer un flux considéré à ce jour comme nuisible; celui des déchets. Et la viabilité d’un tel projet commence déjà à faire ses preuves (cf impacts plus bas).
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Enfin, d’un point de vue humain, c’est grâce à une grande empathie et à une conception centrée utilisateur que de tels objectifs ont pu être atteints. « Il suffit de sortir de la gestion purement technique pour s’ouvrir aux sciences comportementales et sociales, pas de façons à sauver la planète mais bien à passer à l’action. », explique Nicolas. Il y a même certains habitants qui ne viennent ici que pour récupérer des produits, avant de se rendre au magasin de bricolage ou de jouets.

 

« Apprendre par le faire : le geste devient automatique, même si la conscience environnementale n’est pas présente. »

 

 

Le passage à l’action et l’expérimentation sont clefs dans la démarche et dans sa vision de l’innovation; un tel projet est « redoutable » et pour en développer des similaires il faut être capable de faire bouger le statu quo, tester, se tromper, recommencer.

Envisager et imaginer de nouvelles opportunités, de nouvelles manières de faire et de penser et donc – en d’autres termes, ne pas avoir peur de la nouveauté – ce serait donc ça la clef du succès ?

 

Quels sont les résultats ?

 

« Plus de 1500 tonnes de produits qui ont été échangés, plutôt que jetés. »

 

Bien que les investissements d’un tel dispositif et d’une telle démarche soient supérieurs à ceux d’une déchetterie classique, les résultats sont là, et bien plus que ceux escomptés :

 

D’un point de vue quantitatif (lié aux déchets) :

 

  • Une baisse de 30% de déchets par rapport à l’ancienne déchetterie, c’est à dire 1 500 tonnes de produits qui ont été échangés et n’ont pas fini en décharge.
  • Une baisse de 65% de déchets destinés à la décharge et à l’enfouissement, c’est à dire des déchets que se trouvent en dehors du « cycle » et qui ne seront ni échangés, ni recyclés.
  • Un taux de 85% de valorisation contre 70% dans les déchetteries classiques.
  • Un augmentation de 10% du taux de fréquentation par rapport à l’ancienne déchetterie ou une déchetterie classique.

 

« Si on prend l’entrée strictement déchets c’est mort , personne n’en veut : il faut parler de santé, de culture, de qualité de vie… »

 

Les résultats qualitatifs sont également à intégrer, et ne sont pas des moindres.

 

D’un point de vue qualitatif :

 

  • Le SMICVAL Market est devenu un lieu où les gens aiment aller et rester. Dans une déchetterie on reste en moyenne 7 à 8 minutes et on y va souvent reculons; c’est sale, c’est loin, et je n’ai rien à y gagner… Tandis qu’à Vayres les visiteurs restent en moyenne 20min, discutent, échangent. C’est un lieu que les utilisateurs et habitants s’approprient, ils le rangent, le gardent propre, le respectent.
  • Aucun acte de vandalisme n’a été déclaré à proximité du lieu depuis son ouverture, alors que cela semble être le quotidien de nombreuses déchetteries. Ici, chacun respecte les horaires, attend pour l’ouverture, et respecte l’environnement alentour. C’est le cas sur le site, mais également sur l’ensemble des communes qui n’ont connu aucun dépôt sauvage depuis l’inauguration.

 

« Nous ne sommes plus tout seul à décider de la valeur d’un produit en fin de vie. »

 

En nous partageant l’histoire et le fonctionnement de ce projet visionnaire, Nicolas Senechau nous permet de soulever la notion de valeur qui semble bloquer de nombreuses démarches de transformation et d’innovation dès qu’on en vient à parler d’économie circulaire. Grâce à un projet de ce type, qui fait confiance à l’utilisateur tout en le responsabilisant, la notion de valeur est déplacée, pour passer d’individuelle à collective, partagée. Dans le parcours proposé, le choix de la valeur d’un produit, et donc de sa fin de vie, est remis entre les mains d’un groupe d’habitants tout entier – à savoir les visiteurs – à travers les échanges qui s’opèrent en son sein. En plus d’allonger la durée de vie des produits et ressources, la mission de prévention se fait par l’action.

 

 

 

Et pour la suite ?

 

« Le SMICVAL reste une collectivité assez classique mais la différence c’est qu’on devient un réel acteur du développement du territoire et non plus uniquement un prestataire de service. »

 

Le SMICVAL souhaite se positionner au delà de la prestation de service et devenir un réel acteur du développement territorial pour aider les changement de comportements et l’amélioration des conditions de vie et de travail.
Convaincu de la puissance d’une telle vision et de la nécessité d’innover, Nicolas Senechau compte sur la conception et le lancement de nouveaux projets pour continuer à appliquer et prouver les intérêts d’une économie circulaire. Après s’être adressé aux habitants avec cette infrastructure innovante, le Syndicat et les partenaires locaux visent désormais à mobiliser et fédérer les Start’ups, industriels, institutionnels ou encore artisans.

 

Les projets complémentaires :
  • Le « Hotspot économie circulaire » (qui existe déjà), un lieu en mode « open data », dédié au développement de l’économie circulaire (construit à 90% en matière réemployées dont des merrains), qui vise à inspirer les visiteurs et les aider à trouver des idées, outils et informations pour lancer leur projets.
  • L’association et marque « Nouvel’R », lancée récemment, qui met en dynamique tous les acteurs de l’économie circulaire du territoire du SMICVAL.
  • La « fabrique Zéro Waste » qui va ouvrir très prochainement et qui vise à dynamiser les initiatives non marchandes et citoyennes (mouvements de transition, familles zéro waste, etc…) à travers un accompagnement et un espace dédié.

 

 

Les deux nouveaux SMICVAL Markets :
  • La conception et ouverture en janvier 2020 de la version 2 du SMICVAL Market cette fois-ci ouvert également aux artisans et prestataires de services. La nouveauté ? Une nouvelle étape dans le cycle de vie du produit (i.e la réparation) grâce à un espace qui apportera du service aux habitants à travers des ateliers, outils et formation pour réparer, customiser ou transformer leurs objets (meubles, éléctroménager…) et déchets (alimentaires, déchets verts).
  • La version 3 pour 2021, une infrastructure du double de superficie (11 000m2), en plein centre de Libourne, avec une galerie ouverte aux startups et entreprises du territoire acteurs d’une économie circulaire (Cyclo Pierrot, Circouleurs) dans le but de leur offrir de la visibilité et des nouveaux flux de visiteurs et acheteurs (ndlr 250 à 300 personnes qui passent tous les jours au SMICVAL Market).

 

C’est donc une grande transition qu’ont entrepris Nicolas Senechau, les collaborateurs du Syndicat et partenaires locaux, vers des territoires plus vivants, qui transforment la vision des déchets en responsabilisant les habitants.

 

Les 3 conseils de Nicolas Senechau :

 

Vous travaillez dans la filière des déchets ? Vous souhaitez transformer votre territoire pour qu’il devienne porteur de lien social, création d’emplois et d’une meilleure qualité de vie ? Vous souhaitez réduire les coûts liés à la production de déchets ? Nicolas vous partage ses trois conseils pour passer à l’action :

1. Acquérir la culture de la prise de risque et du droit à l’erreur et à l’expérimentation, une chose que nous semblons avoir oubliée et qui ne fait plus partie de notre culture.

2. Varier les profils et les intervenants pour des projets innovants, les faire de l’extérieur, penser à des compétences et points de vue que vous n’auriez pas envisagés.

3.Replacer l’usager et l’usage au cœur du dispositif, se mettre à sa place pour mieux cibler et l’impliquer.

 

 

Et puis évidemment, pour tous les détails des projets et plus encore, je vous invite à écouter le podcast.

 

 

Vous pouvez contacter Nicolas Senechau sur LinkedIn en cliquant ici.

Vous pouvez aussi lui rendre visite au SMICVAL à Saint Denis de Pile ou au SMICVAL Market à Vayres, accessibles par la gare de Libourne ou en voiture depuis Bordeaux.

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Auteur : Justine LAURENT